Renaud: coeur de moineau dans la poitrine d’Hercule

Du Renaud fumeur d’herbes de Provence avec Germaine au papa un peu triste qui buvait encore plus que Manu, il y en a eu des tournées, des chansons, des décès et des textes. Au milieu des groupies, il a laissé sa Dominique. Dans un monde déprimant, il a échappé son stylo. Après avoir fait un album Rouge sang, Renaud a pris sa retraite. Du moins c’est ce qu’on croyait.

Par la suite, on n’a entendu que des bribes de taverne. On a vu passer des photos volontairement mal sélectionnées. Un groupe Facebook a même été créé, « Soutenons Renaud Séchan ». On soutient ceux qu’on aime et qui vont mal, c’est normal. On y parlait entre fans et on recevait des nouvelles de Renaud, de temps en temps, qui se disait touché par notre amour.

Il nous restera… ça.

Puis, le 15 septembre 2015, une musique sourde à la sauce des Revenants est venue nous hanter sur Youtube avec quatre petits mots percutants : Il nous restera ça.

« Il nous restera ça.» – Charles Aznavour

« Il nous restera ça.» – Ben Mazué

« Il nous restera ça.» – Richard Bohringer

« Il nous restera ça.» – Hubert-Félix Thiéfaine

« Il nous restera ça.» – Jeanne Cherhal

« Il nous restera ça.» – Luciolle

« Tch Tch.» – Lino

« Il nous restera ça.» – Fred Pellerin

« Il nous restera ça.» – Erik Orsenna.

« Il nous restera ça.» – Grand Corps Malade

Et puis du fond du couloir, flou, celui qui ne va pas bien, celui qui n’a plus envie qu’on le voie…

« Il nous restera. Ça.» – Renaud

Comme a si bien dit Robin des mots :

Renard

Après, on a eu peur d’entendre sa chanson. Il avait l’air un peu amoché dans l’ombre et dans le flou, derrière les ragots de son frère et les Français méchants qui le traitaient d’alcoolique. Au moins, on se disait que quoiqu’il arrive, peu importe à quelle profondeur il coulerait, il nous resterait ça, Ta batterie, à nous et à son fils Malone. C’était déjà pas mal.

N’empêche que « Il nous restera ça », c’est lourd de sens. Ça veut dire qu’il ne vient plus rien après.

L’heure des poètes

Dans une France minée par le terrorisme, le chômage et la déprime, quand les artistes se faisaient tirer dessus qu’ils dessinent pour Charlie Hebdo ou qu’ils chantent, Grand Corps Malade, fils des banlieues, n’a pas choisi de camp. Il a choisi la poésie. Il a choisi de nous rappeler la beauté des mots :

« À chaque saison, la césure a ses airs de fête Elle a raison, ça rassure, c’est bien l’heure des poètes. »

Étant donné le contexte, Renaud aurait pu en dire « Entre guitare et fusil, Grand Corps Malade a bien choisi ».

Pour cet album, il a rassemblé 11 artistes de grand talent qui ont chanté des chansons sous le thème « Il nous restera ça ». Le premier extrait est le sien et s’intitule « L’heure des poètes ». Il y parle de chanteurs intemporels, dont Renaud, comme pour nous enseigner le respect.

Le vidéoclip implique aussi des artistes visuels formidables :

Elise Oudin-Gilles

Harry James

Marko93

ZAPATA (J’adore son mouvement de satisfaction quand il dévoile son œuvre)

Steve Pitocco

Et Boris Normand qui illustre ce magnifique texte :

  « Quand le soleil part à reculons, c’est p’t-être mon moment préféré Une atmosphère comme du coton, et la lumière un peu biaisée C’est l’heure de tous les états d’âme où je ressens le poids de chaque mot C’est l’bon climat, messieurs-dames, pour pouvoir écouter Renaud Renaud, c’est la tempête dans la douleur du crépuscule C’est un cœur de moineau dans la poitrine d’Hercule C’est la rage et la tendresse, il y a trente ans, il a écrit Des trucs qui, chaque jour, m’aident à comprendre c’que j’fous ici »

La batterie de Malone

Un peu plus tard, on a eu droit à l’album complet. Elle était bonne Ta batterie, pour un Renard affaibli. Il y chantait

« Moi je ne fais plus beaucoup de bruitTu l’as remarqué déjà Oublie tous les vautours Ton papa est bien là »

Le Nouvel Obs a titré « « Ta Batterie » de Renaud : une voix cassée qui ne cache plus l’homme brisé ». Tout était dit.

On a entendu à travers les branches que Grand Corps Malade lui avait soufflé les deux premières lignes. C’est le souffle qu’il fallait pour ranimer les braises, mais on ne le savait pas encore. Pendant que cette chanson nous donnait envie de lui donner un câlin, elle lui donnait envie d’écrire la suite.

L’éveil du phoenix

Voilà que Renaud est revenu à la vie. D’un coup, il a marché pour Charlie Hebdo, il est retourné en studio avec son ami des tournées, il a remercié Grand Corps Malade sur toutes les chaînes. Renaud était bien là.

Une première chanson est sortie sur Youtube : Toujours Debout. Elle a donné un million de vues en moins de 48 heures. On a retrouvé un Renaud fier, un Renaud franc, un homme debout qu’on reconnaissait bien. Décidément, Renaud était bien là.

La page Facebook « Soutenons Renaud Séchan est devenue « Renaud le Phénix » et on a ressenti la même chose que l’administrateur. Renaud était né de ses cendres, de retour pour de bon. Il a même semblé leur dédier un petit mot :

« Mais je n’vous ai jamais oublié Et pour ceux à qui j’ai manqué Vous les fidèles, je reviens vous dire merci Vous m’avez manqué vous aussi »

Quelques mauvaises langues ont parlé de rechute probable et d’autotune. Ces gens sont les croquants de Brassens, j’ose espérer que Renaud le sait aussi. De toute façon les ventes ne mentent pas, dès la première semaine, il a fracassé tous les records de la dernière décennie. Prenez ça, les rabat-joie.

Un album magnifique

Cet album qu’on n’attendait plus est bien digne de notre chauffeur de mobylettes préféré. Il a d’abord été toujours debout, puis il a embrassé un flic. Il faut tout un courage, quand on se dit anarchiste, pour admettre qu’on a de la reconnaissance pour la police. Cette chanson est belle et montre bien que Renaud n’est pas une image figée dans les années 80 qui roule sur sa gloire passée. Il ressent encore des choses, il est bien vivant.

Plusieurs autres chansons de l’album que vous n’avez peut-être pas encore entendues sont dignes du Renaud qu’on mérite. Parmi celles-ci Héloïse et Les mots, sont magnifiquement écrites.

J’aime aussi Pour Karim, pour Fabien (Grand Corps Malade), même si je préférais la version live et A cappella.

C’est rassurant, c’est beau, c’est un cadeau. J’ai même l’impression que Lola Séchan (mon alter-ego imaginaire) va mieux depuis que son papou va mieux. Je le lui souhaite. En tout cas mon papou à moi, qui me rappelle souvent le sien,  avait bien besoin de se faire rappeler qu’il était toujours vivant au milieu de l’hécatombe. Merci pour lui, Renaud. Je t’aime.

L’amitié

La dernière année aura été celle de l’amitié pour Renaud avec Michaël Ohayon et Renan Luce.  C’est aussi le retour de Renaud chez Charlie Hebdo, l’endroit où tant de ses amis sont passés avant de le quitter. Mais c’est surtout son amitié avec Grand Corps Malade qui a parti le bal et qui a lancé tout ce qui nous a redonné un peu d’espoir artistique dans une France mal en point. C’est la même amitié qui a cimenté Brel, Brassens et Ferré. C’est un peu l’esprit Les copains d’abord, même s’ils n’en sont pas encore conscients et vous non plus.

Ces albums, Il nous restera ça et Renaud,  c’est l’histoire inspirante d’un anarchiste et d’un slameur. C’est l’histoire de deux poètes et une belle leçon d’amitié. Je vous aime messieurs. Longue vie à vous !

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