René Goscinny ou le nouveau tournant de la BD

Quand j’étais ado, je me passionnais pour des bandes dessinées telles qu’Astérix et Lucky Luke. Mon esprit s’est ainsi accoutumé à un certain style de cet art, devenu un à part entière, sans me rendre compte qu’il avait une forme bien plus embryonnaire à une lointaine époque.

C’est en vieillissant que j’ai pris conscience que la BD se cantonnait pour moi autrefois dans un répertoire enfantin ou pré-adolescent, basé soit sur l’édification morale (pensons à Bécassine) soit sur l’action pure (Ah ! Batman, Superman et tous ces super-héros de chez Marvel Comics).

Aussi, le scénario devait se plier à des règles strictes ou passait parfois même carrément au second plan pour mettre le côté spectaculaire du dessin de l’avant. Bref, on avait affaire soit à du sentimentalisme moralisant au possible, soit du simple divertissement.

Mais avec l’arrivée d’un certain René Goscinny, dessinateur pendant un temps mais désormais reconnu comme scénariste, l’univers de la BD a fait un immense bond en avant. Et je me considère très chanceux d’avoir pu profiter, tant pour mon bonheur que ma culture personnelle, de cette avancée.

Le parcours de René Goscinny

Né à Paris le 14 août 1926 d’un père polonais et d’une mère ukrainienne, René Goscinny a vécu son enfance et son adolescence en Argentine, son père ayant hérité d’un poste d’ingénieur chimiste à Buenos Aires. Étudiant dans un collège français, il se passionne alors pour la BD de l’époque, Les pieds nickelés en particulier. Il se met à dessiner et découvre rapidement sa vocation: faire rire les gens.

Suite à la mort de son père, il doit cesser ses études et trouver du travail. Il arrive aux États-Unis en 1945 où il y vit une période de galère au terme de laquelle une agence de publicité de New York l’embauche. Et, à défaut d’avoir pu rencontrer son idole Walt Disney durant son séjour, il côtoie tout de même les futurs fondateurs du magazine Mad, qui l’influenceront fortement.

Les grandes rencontres 

C’est durant cette période que Goscinny fait la connaissance de Maurice de Bévère, alias Morris, créateur de Lucky Luke, et qu’il devient son scénariste attitré. À son retour en Europe en 1951, il fait d’autres rencontres marquantes: Albert Uderzo et un certain Georges Troisfontaines qui le fait entrer à l’agence World Press – une simple filiale des Éditions Dupuis en fait. Il abandonne ensuite le dessin pour ne se consacrer qu’à l’écriture de scénarios, ce qui établira sa réputation et déclenchera une révolution dans un art qui n’était pas encore reconnu comme tel.

Quand j’ai entendu quelqu’un dire: « Scénariste? C’est à la portée du premier imbécile venu », j’ai compris que j’avais trouvé ma voie.

C’est en 1959, avec Uderzo et Jean-Michel Charlier, un autre scénariste, qu’il crée une agence appelée Édifrance où ils tentent de placer des textes et des dessins dans diverses publications. Ils finiront par créer leur propre magazine, Pilote. Et, lorsque l’éditeur Georges Dargaud en prend la direction commerciale deux ans plus tard, il a l’idée judicieuse de confier à Goscinny le poste de rédacteur en chef.

L’envol de Pilote

Pilote et les Éditions Dargaud publieront bien sûr Astérix et Lucky Luke, mais aussi Iznogoud, avec Jean Tabary, et Les dingodossiers, dessinés par un certain Marcel Gotlib arrivé à Pilote en 1965. Mentionnons aussi Jean Giraud (Fort NavajoBlueberry) et Michel Greg (Achille Talon).

C’est toutefois en 1966 que le magazine prendra son véritable essor, lorsque Goscinny accueillera Cabu, Fred, Gébé et Jean-Marc Reiser. Tous les 4 ont dû quitter le magazine Hara-Kiri alors interdit de publication. Et avec l’arrivée de dessinateurs et de

scénaristes comme Claire Bétécher (Cellulite), Philippe Druillet (Lone Sloane), Jean-Claude Mezières et Pierre Christin (Valérian) entre autres, Pilote et Goscinny révolutionneront la BD francophone. Rien de moins.

Avec ces artistes, Pilote donne le ton à une BD beaucoup plus mature, irrévérencieuse (bien que pas toujours du goût de Goscinny même s’il savait se montrer ouvert), tranchant résolument avec ce qui se faisait auparavant et se tournant vers un public adolescent et adulte.

Le génie d’un scénariste

Parlons un peu de l’homme lui-même à présent.

À mon sens, le succès de Goscinny comme scénariste est dû à son humour décapant, accompagné d’une critique sociale parfois virulente qu’il  fait aisément passer sous un côté bon enfant. Astérix et Lucky Luke illustrent assez bien la chose. On n’a qu’à penser aux albums Obélix et compagnie et L’empereur Smith: le premier dénonçant de façon hilarante les excès du capitalisme; tandis que le suivant se penche, l’air de rien, sur le pouvoir et la folie des grandeurs.

À vrai dire, toute son œuvre de scénariste est parsemée d’observations où la nature humaine ne ressort pas toujours sous son meilleur aspect. Un tableau aussi marquant que celui de la maison qui rend fou dans le dessin animé Les douze travaux d’Astérix en reste pour moi la preuve la plus évidente.

Autre caractéristique importante de son travail: l’importance qu’ils attachaient, lui et ses dessinateurs, à la recherche historique. L’époque décrite dans le récit devait correspondait le plus fidèlement possible à son esprit. Les anachronismes, que Goscinny adorait visiblement parsemer dans ses scénarios, rendaient ainsi son humour encore plus percutant. Chose certaine, ça m’a incité à consulter fréquemment les fameuses pages roses du Petit Larousse dans le but de découvrir la signification des expressions latines qui y figurent, affinant davantage ma culture de la sorte. Grâces lui en soient rendues!

Adieu Goscinny

Avec son décès soudain en 1977, il laisse, à mon sens, un trou béant que ses successeurs n’arriveront jamais à combler tout à fait. Uderzo s’y sera bien essayé, mais c’est la série du cowboy-qui-tire-plus-vite-que-son-ombre qui en pâtira le plus, s’enfonçant peu à peu dans la médiocrité.

Il reste qu’après son passage, le médium bande dessinée n’aura pas seulement élargi son audience, il sera aussi entré dans l’ère de la maturité.

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